Pratiques d’endurance avec le vivant : esquisse d’une approche pédagogique

Pratiques d’endurance avec le vivant : esquisse d’une approche pédagogique.


J’aime à penser que les sportives et sportifs d’endurance, pratiquant leur activité physique à l’extérieur, et potentiellement en pleine nature, trouvent l’essence de leur motivation (une partie du moins) dans l’environnement qui les entoure. Passer du temps en pleine forêt, écouter le bruit du vent sur les feuilles, avoir la chance de croiser le regard d’un animal sauvage, sentir l’odeur de la terre, humide ou bien sèche, ou encore observer des lieux familiers changer au fil des saisons. Tous ces exemples font parties des raisons pour lesquelles j’aime moi-même les sports d’endurance en pleine nature. J’aime me retrouver immergé dans cette nature ou plutôt, dans ce « vivant ». Découvrir un nouvel espace comme l’on fait une nouvelle rencontre. Retourner chaque semaine sur les mêmes sentiers comme retrouver chaque vendredi soir un même ami autour d’un verre. Nombre de mes athlètes partagent cette sensibilité et ce rapport intime au vivant. Ce lien s’incarne pour chacun et chacune d’entre nous dans des environnements différents ; Sous les pins, sur un sentier longeant une rivière, en haut d’un sommet, sur les flancs d’une colline ou au bord d’un lac aux eaux d’un bleu profond.

Être immergé dans ce vivant a fait naitre chez moi l’intuition qu’une approche pédagogique de l’entrainement en sports d’endurance, associant des objectifs de performance avec ceux d’une plus grande connexion au vivant était à esquisser. En tant qu’entraineur de triathlon et pédagogue de formation, il ne me restait alors à en dessiner les contours et à me lancer dans un début de formalisation.

L’approche pédagogique qui tend à prendre forme ici contient une double vocation. Premièrement, elle souhaite permettre à des sportives et sportifs de s’outiller dans le domaine de l’entrainement en sports d’endurance. De découvrir et s’approprier différentes notions, concepts et méthodes leur permettant de prendre du plaisir et de progresser en apprenant les fondamentaux des stratégies d’entrainement. La seconde vocation de cette démarche consiste quant à elle à aborder ces méthodes d’entrainement de façon critique en vue d’effectuer des propositions d’ajustement en lien avec un nouvel objectif : Permettre une connexion et une sensibilité au vivant en vue d’opérer une transition écologique des pratiques d’endurance. Pour bien comprendre ce dont il est question ici et d’avoir un aperçu de la façon avec laquelle nous allons aborder ce second objectif, commençons dans ce premier article par définir ce que nous entendons par « vivant ». Attelons nous ensuite à l’explication de la raison pour laquelle y être connecté et surtout sensible nous parait primordial pour entrevoir l’émergence d’une transition écologique de la pratique des sports d’endurance.

Pour cela, ce sont aux écrits et à la pensée de Baptiste Morizot que nous faisons référence. Utiliser le terme de « vivant(s) » nous permet de nommer l’ensemble des espèces vivantes comme formant un tout et dès lors, cesser de séparer l’humanité des autres formes du vivant que sont la faune, la flore, les champignons, ou encore les bactéries. Sortir en quelque sorte du dualisme « nature / culture » et de nous intégrer dans ce « vivant » composant notre planète et plus comme une forme de vivant séparée des autres.

Dès lors, cette conception du « vivant » nous amène à concevoir l’écologie non pas comme un combat que nous pourrions mener pour des êtres extérieurs à nous mais bien pour un Nous global, dans lequel l’humain est intégré au même titre que l’ensemble des autres espèces présentes sur terre. L’ensemble du vivant partage une interdépendance qu’il faut rendre visible. Cela passe notamment par la façon dont nous nommons les choses, et en particulier dont nous nous nommons nous-même. Cette approche philosophique nous invite à penser notre action écologique dans une perspective altruiste autant qu’égoiste. Nous agissons pour un Nous plus grand que nous, dans lequel nous prenons place. Agir pour l’écologie ne revient donc pas, comme nous venons de le dire, à chercher à protéger ou sauvegarder la nature, les animaux, ou certains espaces sauvages. Agir pour l’écologie c’est se donner l’objectif de vivre en harmonie avec l’ensemble du vivant et donc de pratiquer son sport, pour ce qui nous concerne ici, en positionnant l’humain et sa pratique d’endurance à sa juste place.

Quelles limites nous fixons-nous dans notre pratique sportive ? Nous en posons-nous vraiment ? Pour nous et l’ensemble du vivant ?

Le problème qui se pose alors, en continuant de suivre (du mieux possible) la pensée et le travail de Baptiste Morizot, est que nous ne connaissons plus et ne sommes plus suffisamment sensibles à ce vivant que nous côtoyons sans cesse et qui va jusqu’à nous constituer dans notre propre chair. Sans le connaitre et le comprendre, comment espérer construire une pratique sportive harmonieuse avec lui ? Cet état dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui a un nom. B. Morizot le nomme « crise de la sensibilité ». Qui d’entre-nous reconnait encore le chant des différents oiseaux ? Les essences des bois d’une forêt ? Les types de pollens rencontrés dans les champs ? Et de surplus, qui sait déterminer les besoins (vitaux à minima) de chacun de ces vivants ? Développer sa sensibilité au vivant serait alors l’une des conditions déterminant notre capacité à le connaitre et à le comprendre. C’est à cette condition qu’il nous semble possible de développer une pratique harmonieuse prenant en compte les besoins des autres formes du vivant.

Notre pratique sportive actuelle répond-elle réellement à nos besoins profonds ? Sommes-nous souverains quant au rapport que nous entretenons à notre pratique sportive individuelle et collective ? Et quelles opportunités nos pratiques sportives pourraient-elles contenir dans une perspective de connexion et sensibilité au vivant ?

L’approche philosophique et politique de Baptiste Morizot et de l’ensemble du courant de pensée dans lequel il s’insère nous permet de trouver un ancrage théorique propice à l’émergence d’une nouvelle idée des pratiques d’endurance. Plus largement, nous souhaitons pouvoir faire cohabiter des approches philosophiques, politiques et sociologiques avec celles des sciences du sport et de l’entrainement.

Cet article sonne le point de départ d’une approche pédagogique « vivante » des sports d’endurance, ancrée théoriquement, concrète et applicable par les personnes souhaitant associer une dimension écologique à leur passion pour leur sport. Nous espérons contribuer à l’émergence de pratiques sportives harmonieuses, respectueuses et sensibles, vis-à-vis de l’ensemble du vivant.

Avant de clôturer ce premier article, il me semble important de préciser qu’il constitue à la fois le point de départ autant qu’une forme de finalité dans cette entreprise de réflexion pédagogique. En effet, avant d’avoir le courage et l’envie d’écrire ce premier article, ce sont des centaines de pages qui ont été noircies, raturées, parfois jetées ou gardées précieusement. Ce sont des centaines de questions, de réponses, d’idées et de projets qui ont été esquissés. Puis un jour, je me suis rappelé d’une phrase qu’un ami pédagogue répète souvent à ses élèves : « Le mieux est l’ennemi du bien ». Cet adage, que je me plais à conseiller parfois était désormais à conjuguer à la première personne du singulier. En d’autres mots, il est temps pour moi d’accepter que cette démarche pédagogique puisse être longue, voir ne jamais être totalement terminée. Si je devais attendre qu’elle soit suffisamment finalisée pour que j’en sois satisfait, alors elle ne verrait peut-être jamais le jour, faute de pouvoir être sans cesse rectifiée, améliorée, complétée, etc… Et au risque de paraitre présomptueux, je ne veux désormais plus prendre le risque que cela arrive. J’ose désormais espérer que cette esquisse pédagogique, prenant sa forme au fil des articles à venir, puisse intéresser d’autres personnes que moi-même.

Enfin, si cela n’était pas encore suffisant pour justifier mon entrée dans l’écriture sur ce sujet, il me semble que la période que nous traversons actuellement, marquée par un dérèglement climatique de plus en plus visible et palpable, des rapports du GIEC toujours plus alarmants, doit nous pousser à réfléchir de façon critique sur notre façon de vivre et d’agir. Le sport, en tant que « fait social », produit par notre société et produisant celle-ci, ne peut pas rester en dehors de ces questionnements critiques visant à produire de nouvelle façon d’envisager notre existence et de celle de l’ensemble du vivant.

Lucas Handelberg



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